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Perdre

Perdre

Auteur : Maître Christophe BIDAL
Publié le : 18/07/2024 18 juillet juil. 07 2024

Les Olympiades parisiennes qui débutent sont l’occasion de rappeler la valeur cardinale enseignée par le Baron Pierre de Coubertin : « l’important, c’est de participer »
D’aucuns voudraient pouvoir décliner ce principe dans la sphère économique et sociale afin, pour reprendre une expression souvent entendue à Lyon, « d’apaiser la cité ».

La vraie vie n’est pas celle-ci et les avocats l’illustrent bien par leur communication, notamment sur ce réseau.
Il est difficile de ne pas le voir : les avocats y relatent fièrement à longueur de posts leurs conseils gagnants et leurs procès gagnés.

Après tout pourquoi pas : même si ses règles professionnelles appellent l’avocat à la modération, la publicité et la communication personnelles lui sont autorisées – ce post l’illustre -, cependant dans le respect des principes essentiels, notamment celui de loyauté.

Mais le principe de loyauté implique, cela tombe sous le sens, une communication sincère.
C’est là que le bât blesse.

Nul avocat n’est Kevin Lomax (le jeune et brillant avocat, interprété par Keanu Reeves, qui n’a jamais perdu une affaire et devient « L’associé du Diable », interprété par Al Pacino).
Tous les avocats, dont l’activité est judiciaire, perdent des procès.
La raison en est simple et peut être résumée comme l’a fait un jour un grand Président de la chambre sociale de la Cour d’appel de Lyon : « Maître vous savez, le cavalier peut être bon, mais si le cheval n’avance pas, il n’ira pas bien loin »

Donc la vérité, quand on plaide beaucoup, est que succomber, c’est-à-dire perdre, arrive régulièrement, spécialement quand on plaide en droit du travail pour les employeurs.
Le droit du travail est en effet un ordre public de protection des salariés et crée plus de droits et de garanties au profit des salariés qu’à celui des employeurs.

Un grand avocat, un mentor, m’a dit un jour : « le bon avocat est celui qui gagne un procès sur deux »

Et c’est bigrement vrai.

Perdre un procès fait partie du quotidien de l’avocat, moins de celui de son client.

Et l’avocat doit à son client qui a perdu son procès, ce faisant, un dévouement, une attention et un conseil d’autant plus affirmés et assidus.

Les défaites sont diverses.

D’abord, il y a perdre et perdre.

Si le principe d’une condamnation est toujours désagréable, il faut savoir en conscience attirer l’attention du client sur l’élément positif qu’on peut trouver dans une décision négative.
Il est évident que si l’adversaire de son client, qui demandait 100, obtient 10, le principe de la condamnation, quoique désagréable, pourra, voire, devra être accepté à raison du quantum.

Le devoir de conseil de l’avocat aura ici à s’imposer.

Ensuite, perdre un procès est parfois un mal nécessaire.

Prenons l’exemple de l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail.

Le salarié engage et exerce l’action alors que le contrat de travail est en cours.

Si le salarié gagne son procès, le contrat de travail est rompu aux torts de l’employeur et le salarié se voit allouer des indemnités de rupture et des dommages et intérêts.

S’il le perd, le contrat de travail se poursuivra aux mêmes conditions.

La poursuite du contrat de travail d’un salarié qui lui a fait un procès peut déplaire à l’employeur, c’est un euphémisme.

Aussi, l’idée, en l’occurrence, sera souvent pour l’avocat de l’employeur de rechercher la rupture contractuelle à moindre coût, en d’autres termes de perdre le procès, a minima pour ce qui est de l’indemnisation du salarié.
C’est là un exercice qui demande du doigté.
Enfin, il arrive des condamnations cuisantes et lourdes.
L’accompagnement doit être double, relationnel voire psychologique et technique :
  • relationnel voire psychologique, car l’annonce à son client d’une mauvaise nouvelle relève de l’office personnalisé du dominus litis et de lui seul : s’il suffit de rendre compte épistolairement à son client quand on gagne un procès (selon le principe de modération), une lourde défaite commande en revanche au dominus litis de décrocher son téléphone pour en informer personnellement et accompagner son client (selon les principes de dévouement et de conscience) 
  • technique, car l’avocat aura à poursuivre sa mission via l’exercice des voies de recours et le pilotage de l’exécution.
Tout cela n’épargnera pas le client, mais non plus l’avocat lequel, d’expérience, vit le plus souvent très très mal, diurnement et nuitamment, de perdre lourdement un procès.
Et l’on n’ose imaginer le chemin de croix qu’a été celui de l’avocat qui accompagnait, en d’autres temps, son client à l’échafaud.

On préfère gagner un procès, d’abord car l’on est content pour le client, ensuite car on en retire la satisfaction du travail accompli (avec modération selon le principe du même nom), enfin, force est de le constater, car les sujétions d’un procès gagné ne sont pas celles d’un procès perdu.

Le bon avocat est celui qui gagne un procès sur deux, c’est-à-dire qu’il en perd un sur deux.
Pour ce qui est du procès perdu, la valeur cardinale du Baron Pierre de Coubertin implique que l’avocat ait en conscience tout mis en œuvre pour gagner le procès qui lui a été confié.

Et quoique perdant le procès, il doit tout mettre en œuvre pour favoriser le rebond procédural et personnel de son client.
Sir Winston Churchill, après tout, a bien dit que « le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ».

Article rédigé par Maître Christophe BIDAL,  Avocat Associé

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