Le changement des conditions de travail d’un salarié protégé : des précisions annonciatrices d’un assouplissement ?
C’est à la question que l’on peut légitimement se poser en lisant l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 11 septembre 2024 (n°23-14.627).
Alors que la modification du contrat de travail nécessite l’accord du salarié, qu’il soit protégé ou non, tel n’est pas le cas pour le changement des conditions de travail d’un salarié non protégé.
En effet, alors qu’un salarié non protégé peut se voir imposer un changement de ses conditions de travail, il en va différemment pour un salarié protégé.
Tout changement des conditions de travail d’un salarié protégé nécessite son accord :
- et ce quelque soit le motif du changement ;
- peu important l’existence de clauses d’un contrat de travail qui ne peuvent prévaloir sur le statut protecteur des représentants du personnel.
A ce titre, la Haute juridiction a notamment jugé qu’un salarié protégé est en droit de refuser :
- son rapatriement au terme de son expatriation (Cass. soc. 4 oct. 1995 n°94-40.387) ;
- une mutation, même si la possibilité a été prévue par son contrat de travail (Cass. soc. 28 janv. 1988 n°85-43.400 ; Cass. crim. 26 nov. 1996 n°94-86.016, Cass. crim. 21 févr. 1989 n°86-96.871).
Ainsi, face au refus du salarié protégé d’accepter un changement de ses conditions de travail, la société n’a que deux possibilités : renoncer ou licencier.
La portée de cet arrêt du 11 septembre 2024 est intéressante : la Haute juridiction semble atténuer sa position sur le changement des conditions de travail d’un salarié protégé ou en tout cas définir plus précisément la notion de changement des conditions de travail.
En d’autres termes, le droit au refus n’est pas automatique en toutes circonstances, de sorte que selon les situations, la gravité du comportement adopté n’est pas la même.
En l’espèce, il s’agissait d’un salarié qui occupait les fonctions de Chef d’équipe et était titulaire d’un mandat de représentant du personnel.
Basé sur l’agence de Toulouse, il exerçait ses fonctions dans les ateliers ou sur les chantiers de la société.
Son contrat de travail précisait notamment que compte tenu de l’éloignement ou de l’organisation des chantiers de l’entreprise, il acceptait de partir en déplacement en contrepartie d’une indemnité de grand déplacement journalière.
Le 11 décembre 2018, il a été informé de son déplacement sur l’agence d’Angers, à compter du mois de janvier 2019, afin d’intervenir sur plusieurs chantiers pour une durée de six semaines.
En février 2019, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail puis saisi le Conseil de prud’hommes afin que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul en violation de son statut protecteur.
Au soutien de son argumentation, il faisait valoir qu’aucune modification ni aucun changement de ses conditions de travail ne pouvait lui être imposé compte tenu de son mandat de représentant du personnel, et ce malgré la clause dans son contrat de travail précitée.
Les juges du fond n’ont pas suivi son argumentation et jugé que sa prise d’acte devait produire les effets d’une démission, au motif que le déplacement imposé ne constituait que l’exercice normal de son contrat de travail et non un changement de ses conditions de travail, de sorte que l’avis du salarié n’était pas requis.
Pour justifier sa décision, la Cour d’appel a notamment retenu que :
- le salarié avait contractuellement accepté les déplacements en contrepartie d’une indemnité ;
- ses déplacements ont toujours été brefs et occasionnels et il n’était pas établi qu’ils aient vocations à devenir habituels ;
- le déplacement envisagé était de courte durée (6 semaines) ;
- le salarié en a été informé dans un délai raisonnable : le 11 décembre 2018 pour un déplacement à compter du 7 janvier 2019 ;
- placé en arrêt maladie le salarié n’a finalement pas effectué le déplacement ;
- le salarié n’a pas démontré en quoi ce déplacement aurait entravé son mandat.
La Chambre sociale a validé le raisonnement de la Cour d’appel considérant que le déplacement provisoire du salarié, en dehors de son secteur d’activité, demeurait exceptionnel et ne s’analysait pas en un changement de ses conditions de travail, de sorte que son accord malgré son statut de salarié protégé n’était pas nécessaire.
Une telle décision peut-elle donc s’analyser en un fléchissement de la position de la Cour de cassation ?
Seul l’avenir le dira puisque cet arrêt n’a pas été publié au Bulletin et la Cour de cassation s’en est remise au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
Les faits d’espèce étant mis en avant, il n’est pas certain que la décision aurait été identique si le salarié avait occupé des fonctions différentes, si le contrat avait été rédigé autrement ou s’il avait effectivement effectué le déplacement.
Pour autant, cette décision peut être vue comme l’amorce d’une rupture avec la position jusqu’alors adoptée par la Cour de cassation ou à tout le moins comme une précision sur ce droit au refus du salarié protégé.
Prudence, avec un salarié protégé, il faut demander pour changer !
Prudence, avec un salarié protégé, il faut demander pour licencier !
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