Experts du CSE : le retour de l’orthodoxie ?
Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 28 Juin 2023 – destiné à publication- fait souffler un vent de nouveauté sur la jurisprudence, pourtant bien établie, relative aux expertises du CSE.
On sait en effet depuis longtemps que l’expert-comptable a un libre accès dans (sic) l’entreprise et aux mêmes documents que le commissaire aux comptes, dès lors qu’il les estime nécessaires, voire simplement utiles à l’exercice de sa mission.
La décision précitée, rendue à l’occasion de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, confirme le rejet de la demande de l’expert de faire injonction à l’employeur de lui permettre de conduire des entretiens avec 25 des salariés de l’entreprise, alors que celui-ci s’y était opposé.
Au plan juridique cette solution doit être approuvée dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit une telle modalité ; elle a d’ailleurs connu deux précédents (TGI Paris Réf. 30.07.1984 ; CA Paris 5.05.1998) qui, même passés relativement inaperçus, ont été relayés à la fois par la Doctrine la plus autorisée (Maurice Cohen, auteur de l’ouvrage de référence sur le droits des comités d’entreprise puis des CSE) et par les praticiens eux-mêmes (« Guide des missions de l’expert-comptable d’assistance au comité d’entreprise, prévues par la loi et le règlement ») soulignant que leur pair: « … peut demander à s'entretenir avec les responsables de l’entreprise. Avec l’accord de la direction, il peut avoir, avec les membres du personnel, les entretiens qu’il estime être nécessaires à l’exercice de sa mission. […] Ce libre accès ne s’apparente par pour autant à un « pouvoir d’audition ou d’interrogation du personnel » ni à un « droit de visite » impliquant à tout moment la liberté de circuler dans les bureaux et/ou ateliers de l’entreprise. ».
Il n’en demeure pas moins que la pratique des entretiens avec les salariés s’est considérablement développée ces dernières années, dans toutes les expertises des CSE, et ce, parfois tous azimuts, au point de prendre largement le pas sur la base documentaire, voire sur l’indispensable -quoique relative- objectivité requise d’un expert. Le principe posé par l’arrêt du 28 Juin devrait donc, pour autant que les employeurs estiment pertinent de l’utiliser, changer assez radicalement la face de nombre de ces expertises.
On pourra toutefois, de part et d’autre, s’interroger sur la portée, pour l’avenir, de cet encadrement relatif des modalités de leur réalisation.
Il est d’abord a priori certain que la condition tenant à l’accord de l’employeur ne se limite pas à l’expertise sur la politique sociale, ni même à celles conduites par le seul expert-comptable : les textes qu’il invoquait en l’espèce (art. L 2315-82 & 83 du Code du travail) relèvent des « Dispositions Générales » relatives à l’expertise et concernent ainsi les consultations récurrentes mais aussi toutes les autres, comme par exemple celles diligentées en cas de licenciement collectif ou propres à la sécurité et aux conditions de travail.
Mais l’essentiel est sans doute ailleurs. Car si une leçon est à tirer de ce recadrage jurisprudentiel, c’est probablement le rappel -fondamental- que l’expert ne saurait en aucun cas se substituer à ses mandants : eux seuls représentent les salariés au sein de l’entreprise et sont, à ce titre, pleinement légitimes à porter leurs revendications, défendre et préserver leurs intérêts, en toute connaissance de cause : les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
Il appartient donc aux instances représentatives de (re)prendre la pleine mesure de leurs responsabilités à l’égard de toutes les parties prenantes de l’entreprise ; les expertises constituent un outil souvent incontournable, destiné à éclairer des matières complexes et leur permettre d’exercer utilement leurs prérogatives. Mais un outil seulement.
Car “Si l’homme ne façonne pas ses outils, les outils le façonneront.” (Arthur Miller)
Article rédigé par Maître Danièle CHANAL, Avocat Associée
Historique
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