Droit disciplinaire et vie privée du salarié
De récentes décisions de la Cour de cassation nous donnent l’occasion de préciser dans quelle mesure un employeur peut licencier un salarié pour des faits relevant de sa vie privée, dont l'intimité doit être préservée « même au temps et au lieu de travail » (Cass. soc. 6/03/2024 n° 22-11.016).
En préambule, rappelons la règle selon laquelle le salarié bénéficie d’une véritable immunité disciplinaire pour tout ce qui concerne sa vie privée, sanctuaire consacré aux articles suivants :
- L. 1121-1 du Code du travail selon lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » ;
- 9 du Code civil, selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée » ;
- 226-1 du code pénal qui réprime le fait « au moyen d'un procédé quelconque, [de] volontairement porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui » ;
- 8 de la CESDH selon laquelle « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
Or, en ayant jugé qu’« un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire », la Cour de cassation a entendu permettre des exceptions à cette règle, qui en atténuent les caractères général et absolu.
1. Ainsi, tout d’abord, des faits relevant de la vie privée du salarié peuvent justifier un licenciement non disciplinaire en cas de « trouble objectif », ou « caractérisé », causé au bon fonctionnement de l’entreprise.
Il en va ainsi de la situation d’un salarié incarcéré trois ans suite à des agressions sexuelles sur mineurs commis dans le cadre de ses activités d’entraîneur d’un club de football et dont la condamnation pénale avait créé un trouble objectif (Cass. soc. 13/04/2023, n° 22-10.476), soit la grève de salariés hostiles à son retour.
Précisons également que l’absence prolongée du salarié aurait également pu motiver un licenciement si elle avait perturbé le fonctionnement de l’entreprise et imposé le remplacement définitif du salarié.
2. Ensuite, si la Cour de cassation l’a longtemps exclu (ex. : Cass. soc. 23/06/2009 n° 07-45.256), elle a finalement admis qu’un employeur puisse sanctionner par un licenciement disciplinaire des faits tirés de la vie privée du salarié (i) s’ils « se rattachent à la vie professionnelle » du salarié (Cass. soc. 8/07/2020 n° 18-18.317) ou (ii) s’ils « constituent un manquement à une obligation découlant du contrat de travail » (Cass. Ass. Plén. 22 déc. 2023 n° 21-11.33).
Ces faits consistent généralement en des manquements à l’obligation de loyauté, mais concernent aussi l’atteinte à l’image de l’entreprise ou à la santé et à la sécurité et, de manière croissante, le harcèlement sexuel et/ou les agissements sexistes.
Il en va ainsi du licenciement pour faute grave :
- D’un steward qui, lors d’une escale, a volé le portefeuille d’un client de l’hôtel dans lequel il séjournait en tant que membre d’équipage et identifié comme tel (Cass. soc. 8/07/2020, précité) ;
- D’une salariée ayant tenu des propos à connotation raciste à l’encontre d'un collègue, ces faits « se rattachant à la vie de l'entreprise » (Cass. soc. 16/10/2013 n° 12-19.670) ;
- D’un salarié qui, en dehors du temps et du lieu de travail, a envoyé des messages à caractère sexuel à deux collègues « avec lesquelles l'intéressé était en contact en raison de son travail », de sorte que cela « ne relevait pas de sa vie personnelle » (Cass. soc. 19/10/2011 n° 09-72.672) ;
- D’un salarié ayant abusé de son pouvoir hiérarchique dans le but d'obtenir des faveurs sexuelles, même en dehors des temps et lieu de travail (Cass. soc. 11/01/2012 n° 10-12.930).
3. Il convient néanmoins d’être vigilants quant à la mise en œuvre de cette action disciplinaire, qui dépendra éminemment des conditions dans lesquelles les faits ont été commis et constatés. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle récemment confirmé qu’en l’absence de « manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail », le licenciement intervenu était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il en va ainsi des cas suivants :
- Un salarié s’étant livré à des actes de nature sexuelle, dans son véhicule professionnel, siglé du logo de l’entreprise, en présence de témoins s’en étant émus auprès de l’employeur (Cass. soc. 20/03/2024 n° 22-19.170), alors que le salarié doit positivement et loyalement concourir à la préservation de l’image de l’entreprise ;
- Une salariée ayant échangé des propos racistes et xénophobes avec des collègues de travail au moyen de sa messagerie professionnelle (Cass. soc. 6/03/2024 n° 22-11.016), alors que son usage à titre privé était prohibée par le règlement intérieur de la CPAM concernée. L’incidence des propos litigieux et des opinions de la salariée (soumise à un impératif de neutralité et de laïcité) « sur [son] emploi, dans ses relations avec les usagers ou avec les collègues », si elle avait motivé le licenciement, aurait certainement permis d’aboutir à une autre solution.
Article rédigé par Maître Sahra CHERITI, avocat associée
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