Si vis pacem…
Auteur : Me Danièle CHANAL
Publié le :
23/03/2023
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Un employeur a récemment été condamné (Cass.soc. 18.01.2023), dans le cadre d’un licenciement pour motif économique, pour son appréciation défaillante du critère professionnel : « le motif invoqué par l’employeur selon lequel il avait intérêt à conserver une linguiste espagnole dans un établissement agricole n’était pas pertinent… ». L’histoire ne dit pas si, comme dans la plaisanterie populaire, il y avait quelque utilité à parler « comme une vache espagnole. »…
L’exemple prête évidemment à sourire ; il est pourtant l’occasion de rappeler quelques fondamentaux sur des thématiques qui, dans la préparation des dossiers de restructurations, sont de manière récurrente, sources de discussions sans fin et d’arbitrages, qui le plus souvent sont hasardeux et mécontentent tout le monde.
C’est le moment où l’on s’aperçoit que ce type d’opérations s’adosse à un existant qui généralement ne date pas d’hier et qu’il est trop tard pour l’aligner sur les exigences d’objectivité qui garantissent sa sécurité juridique.
Une fois pour toutes donc : les critères d’ordre de licenciement ont été créés pour objectiver le choix d’un salarié plutôt qu’un autre au sein d’un licenciement collectif. L’avocat du salarié le sait, le juge aussi : si l’on veut cibler Dupont et pas Durand en s’affranchissant de la règle, il faut pouvoir travestir le dispositif jusqu’au bout ou provisionner.
Pour éviter d’en arriver à cette extrémité, les entretiens annuels d’évaluation ont a priori le mérite de donner des éléments d’appréciation sur la durée et de n’avoir ainsi pas été constitués « pour les besoins de la cause » ; encore faut-il qu’ils existent et qu’ils ne s’apparentent pas à l’Ecole des fans. Cet exercice, bien que parfois perçu comme un mal plus ou moins nécessaire, doit être pratiqué avec sérieux et impartialité, pour assurer l’équité entre les salariés, et pas seulement en période de croisière.
Cela vaut pour la plupart des aspects du parcours ou du statut professionnel du salarié, susceptibles d’être pris en compte au titre des qualités professionnelles : ainsi de la polyvalence, critère assez régulièrement mobilisé, et particulièrement pertinent en vue d’une organisation cible, soumise à une réduction préalable des effectifs. Ce critère est généralement connu, voire largement admis au sein de la communauté de travail ; cela ne signifie pas forcément qu’il soit documenté et à ce titre démontrable dans un contexte contentieux.
La délimitation des catégories d’emploi est une autre des bouteilles à l’encre des réorganisations; à ne pas confondre avec les catégories socio-professionnelles, elles constituent le périmètre d’application des suppressions de poste, des modifications de contrat voire, in, fine des critères d’ordre de licenciement. Certains secteurs d’activité se prêtent plus aisément que d’autres à une telle délimitation : au sein d’un établissement de soins par exemple, on sait a priori répartir les médecins, les infirmiers et les aide-soignants. Dans la réalité des activités tertiaires – et même industrielles- il n’est pas rare en revanche qu’un même salarié cumule trois intitulés de poste différents : celui du contrat de travail d’origine, celui du bulletin de paye et celui de la fonction réellement exercée ; mais certains font mieux encore…. Ces hiatus ouvrent aux CSE et aux organisations syndicales des jeux de taquins où ils ne se privent pas, eux non plus, de distribuer leurs camarades dans la « bonne » catégorie, celle des futurs licenciés ou des épargnés, selon que l’on est à un an de la retraite ou que l’on a des enfants à charge et le prêt de la maison à rembourser. Ce défaut d’alignement entre le fond et la forme peut coûter cher au moment d’éprouver la conformité du système.
Les plans de sauvegarde de l’emploi ne sont pas les seules opérations concernées par ces écueils : on les rencontrera aussi dans le plan de départs volontaires, la rupture conventionnelle collective ou l’accord de performance collective dès qu’il faudra cerner avec précision leur champ d’application et déterminer les modalités de départage entre les salariés, c’est-à-dire à peu près chaque fois que l’on voudra, peu ou prou, faire évoluer l’organisation.
On ne saurait donc trop conseiller de disposer d’une cartographie objective et à jour des multiples talents, actuels et potentiels des salariés de l’entreprise. Elle peut, à l’heure de choix cruciaux, dans un contexte tendu, permettre de prendre les bonnes options et surtout, de les défendre efficacement.
Article rédigé par Maître Danièle CHANAL, Avocat Associée
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