Contentieux du licenciement : ça risque de râler
Auteur : Maître Christophe BIDAL
Publié le :
07/03/2024
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Quand un Ministre de l’économie s’occupe de droit du travail, cela provoque des réactions.
On se souvient que Monsieur MACRON, alors Ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, a porté la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 dite « loi Macron ».
La loi Macron et son décret d’application n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, ont réformé en profondeur la procédure prud’homale, notamment :
- en obligeant la partie demanderesse, à peine de nullité, à saisir le Conseil de prud’hommes par une requête comportant les mentions prescrites à l’article 58 du Code de procédure civile, contenant un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionnant chaque chef de la demande ;
- en supprimant corrélativement le principe de l’unicité de l’instance prud’homale, lequel permettait au demandeur de présenter toutes les demandes dérivant du contrat de travail au cours et tout au long de la vie d’une même instance, sans avoir à multiplier les procédures ;
- et à hauteur d’appel, en faisant basculer la procédure prud’homale, auparavant orale, dans le champs de la procédure écrite avec représentation obligatoire.
Tout cela a sérieusement bousculé les habitudes procédurales, d’aucuns y voyant et critiquant, à raison selon, la volonté du législateur de compliquer et partant limiter l’accès à la justice prud’homale, mouvement ensuite poursuivi par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 dite « travail » puis par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail.
Comme toujours, les avocats se sont adaptés.
Voilà, désormais, que Monsieur LE MAIRE, Ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, se saisit à son tour de questions du contentieux du travail.
On apprend dernièrement (in Liaisons Sociales Quotidien – 19 février 2024), que Monsieur LE MAIRE s’est vu remettre le 15 février 2024 par cinq députés de la majorité présidentielle un rapport, jugé « remarquable » par son destinataire, formulant des propositions en vue du projet de loi de simplification de l’économie.
Parmi les propositions, figure celle tendant à réduire à 6 mois le délai pour contester la rupture du contrat de travail.
Le délai de prescription de l’action portant sur la rupture du contrat de travail, a régulièrement diminué depuis une quinzaine d’années.
Auparavant de 30 ans, il a été réduit à 5 ans en 2008, à 2 ans en 2013, puis à 1 an en 2017 par l’effet de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
L’Exécutif envisage donc une nouvelle réduction, un délai de 2 mois ayant même été évoqué.
La réflexion, quoique compréhensible, pose toutefois objectivement questions.
Tout d’abord, les délais de procédure sont une question sensible en contentieux du travail.
La Justice manque de moyens, ce qui a pour effet, entre autres, d’attendre en appel de nombreux mois voire plusieurs années pour pouvoir plaider une affaire prud’homale, alors que le dossier est en état de l’être depuis longtemps.
Il faut le reconnaitre, il est un peu paradoxal de se concentrer sur une réduction du délai de prescription pour contester un licenciement, quand tant est prioritairement à faire, en termes de moyens, pour un fonctionnement plus célère de l’institution judiciaire.
Ensuite, réduire encore le délai de prescription pour contester un licenciement, si l’on en comprend la logique et l’objectif, apparait excessif sur le terrain de l’intérêt général.
L’accès à la Justice et le droit au travail – l’Exécutif parlant même, à raison, de « devoir de travailler » -, sont des droits comptant parmi les normes hiérarchiquement supérieures.
Un licenciement peut être légitime et nécessaire, mais le salarié doit pouvoir judiciairement le contester dans des conditions non entravées.
L’enjeu est important : être licencié, c’est être privé d’un droit fondamental et des libertés qu’il permet par le revenu qu’il procure.
Un licenciement, spécialement quand la relation de travail est l’histoire d’une vie, donne ce faisant lieu tant pour le salarié que pour l’employeur, à un contentieux lourd, dur et éprouvant.
Et quand un différend est lourd, dur et éprouvant, mieux vaut qu’il soit tranché dans un prétoire judiciaire, plutôt que dans la rue.
Dans un Etat de droit, c’est l’institution judiciaire indépendante qui tranche les différends et fait ainsi œuvre de régulation sociale.
Singulièrement, la juridiction prud’homale assure a fortiori ce rôle à raison de sa composition paritaire.
Et vouloir encore réduire le délai de prescription de contestation du licenciement risque, à cet égard, d’affecter la mission régulatrice des rapports sociaux de l’Etat de droit, au détriment de l’intérêt général.
Enfin, on ne peut pas ne pas évoquer la question de la logistique procédurale.
La notification d’un licenciement produit des effets différents selon les salariés concernés : certains seront rapidement en état de rebondir, quand d’autres, assommés par la nouvelle, auront besoin de plus de temps.
Mais quand ils vont saisir le Conseil de prud’hommes, ils vont devoir le faire aux conditions formelles de la requête prévue par les articles R. 1452-1 et R. 1452-2 du Code du travail.
Engager un procès prud’homal n’est ni simple, ni anodin : il faut pour l’avocat recevoir le salarié, écouter exhaustivement le récit de l’exécution et de la rupture du contrat de travail, rassembler les pièces probatoires et procéder au travail de qualification juridique afin de former toutes les demandes pouvant l’être relatives à l’exécution et à la rupture contractuelles.
Tout cela est un travail quantitativement important, préalable au dépôt de la requête introductive d’instance, c’est-à-dire devant être effectué pendant le temps du délai de prescription.
Evidemment, l’avocat n’a pas qu’un dossier à traiter et a de multiples autres diligences procédurales à fournir à l’échelle de son cabinet.
On voit la difficulté.
Imposer dans un contentieux sensible de saisir le juge moyennant des diligences procédurales lourdes dans un temps trop restreint, risque très simplement de devenir logistiquement difficile.
Quoiqu’il se passe, les avocats, comme toujours, s’adapteront, mais si le délai de prescription pour contester un licenciement est encore réduit, soyons en assurés, ça risque socialement et judiciairement de râler.
Article rédigé par Maître Christophe BIDAL, Avocats Associé
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