De la vertu de prudence en matière de harcèlement
Auteur : Maître Philippe DE LA BROSSE
Publié le :
28/11/2024
28
novembre
nov.
11
2024
Quelques rappels d’abord puisque nos courtes études de philosophie sont chaque jour plus lointaines.
Pour Platon, « Dans l'ordre des biens divins, le premier est la prudence » et pour Epicure, c'est de la prudence que proviennent toutes les autres vertus.
Elle se définit en général, depuis Aristote, comme la capacité à bien juger des affaires humaines, ce qui requiert un lent apprentissage, mesuré, et adapté aux circonstances toujours changeantes, et donc la possibilité d'améliorer dans le temps la finesse de son jugement et de ses conseils.
Ceci posé, je vais conter une histoire vécue récemment chez un de nos clients.
Informée par le centre d’apprentissage de ce que l’une de ses apprenties, mineure, s’était plainte d’avoir subi dans l’entreprise un viol du fait d’un salarié et des gestes inappropriés du fait d’un autre, la société a dénoncé les agissements au procureur. Elle a ainsi respecté l’obligation pesant sur tout citoyen ayant connaissance de faits de ce type.
Dès le lendemain, du fait d’une plainte déposée par la mère de la mineure et non de la dénonciation de l’entreprise, des policiers sont intervenus dans l’entreprise et ont emmené en garde à vue un des salariés mis en cause…qui a été libéré quelques heures plus tard, la mineure ne s’étant pas présentée à la confrontation et des contradictions flagrantes affectant les accusations.
Le salarié mis en cause et le collectif ont été particulièrement affectés par ces évènements.
Les accusations portées contre les managers ou les collègues de travail n’ont pas toujours ce degré de gravité mais ce cas m’a conduit à m’interroger plus largement sur la vertu de prudence en matière de harcèlement moral et sexuel.
D’une manière générale, à froid, les entreprises doivent développer des actions de prévention du harcèlement. Celles-ci sont diverses, sans être toutes impératives, notamment en fonction de la taille de l’entreprise :
- Information des salariés
- Formation des personnels et en premier lieu des managers
- Elaboration et publicité d’une procédure de signalement
- Désignation d’un référent (entreprises de + de 250 salariés)
- Mentions du règlement intérieur
- Evaluation du risque
- Intégration du sujet dans un accord collectif, le plus souvent sur l’égalité professionnelle hommes-femmes ou la qualité de vie au travail
A ce stade déjà, la vertu de prudence trouve à s’appliquer. Le cadre « permanent » défini par l’entreprise permettra les résultats, nécessaires, mais le contenu et la « tonalité » des informations et formations, la séquence, l’automaticité ou la « radicalité » des procédures mises en place peuvent favoriser d’éventuels écarts ou dérives.
En cas d’accusation ou de soupçon aussi, la conduite à tenir est aujourd’hui connue et bien établie :
- La plainte rend nécessaire l’enquête, l’employeur étant fautif de ne pas l’organiser même en cas de harcèlement finalement non avéré
- L’enquête a ses règles, résultant d’une jurisprudence abondante (enquêteur, personnes auditionnées, respect du contradictoire, confidentialité…).
Cette décision se veut normative, ce qu’elle n’est d’évidence pas. Elle est une référence, non un guide de conduite.
Car au stade de l’enquête, la prudence dans la recherche de la vérité ne doit pas non plus être absente :
- Cette enquête est susceptible, selon la façon dont elle est menée et la publicité qui lui est donnée de créer d’importants dégâts pour le collectif et le ou les managers mis en cause.
- La présomption d’innocence, toujours invoquée n’est pas toujours respectée
- Les rumeurs peuvent être mortelles
- Les managers sont exposés et ont le droit :
- d’être considérés innocents jusqu’à preuve de leur culpabilité
- que les faits soient justement qualifiés, et l’éventail est large :
- ils font « simplement leur job de manager »
- ils ont un « management dynamique »
- ils font preuve d’un « management autoritaire »
- ils ont un « comportement inapproprié »
- ils sont coupables de harcèlement
La prudence n’est pas le choix d’une tolérance, encore moins d’un aveuglement et, in fine, d’une moindre protection des victimes. Elle est le choix d’un traitement équilibré, respectueux des protagonistes et soucieux du collectif et la voie d’une décision finale juste.
Cette décision sera évidemment une sanction lorsque les comportements l’imposent. Mais cette sanction, et ses effets individuels et collectifs, doivent résulter de l’enquête…et non la précéder.
Et le constat est trop souvent fait d’enquêtes qui ont créé des situations délicates ou aggravé des situations existantes. C’est pour une part inévitable. Je crois que c’est aussi pour une autre part évitable et la prudence peut y aider.
Article rédigé par Maître Philippe DE LA BROSSE, Avocat Associé
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