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Evoquer avec un salarié la rupture de son contrat avant l’engagement de la procédure : une bonne ou une mauvaise idée ?

Evoquer avec un salarié la rupture de son contrat avant l’engagement de la procédure : une bonne ou une mauvaise idée ?

Auteur : Maître Philippe DE LA BROSSE
Publié le : 25/01/2024 25 janvier janv. 01 2024

Il est fréquent qu’envisageant la rupture du contrat de travail, l’employeur fasse le choix, pour diverses raisons, d’évoquer le projet avec le salarié concerné, hors toute procédure. Si ce n’est pas illégal, est-ce pour autant pertinent ? L’air du temps ne rend-il pas cette pratique périlleuse ?

En février dernier, j’ai pensé utile, face à nos constats quotidiens, de vous entretenir des « Considérations sur les problèmes de comportement en milieu professionnel ». De nouveaux constats m’amènent à poursuivre la réflexion et vous proposer « l’épisode 2 » touchant non plus à la vie du contrat de travail (son « exécution ») mais à sa mort (sa « rupture »).

A me relire, voilà une fantaisie de la langue française qui n’aurait pas échappé à Raymond Devos : « exécuter » un contrat ne signifie pas le tuer, mais au contraire le maintenir en vie…

Bref, mon propos du jour est de s’interroger sur l’approche pertinente à l’égard d’un salarié dont la rupture du contrat est envisagée.

Après avoir pesé les options, les motifs, les coûts et les risques, l’alternative qui s’offre à l’employeur est connue : en parler au salarié avant d’engager la procédure, ou ne pas en parler.

Des cas sont plus simples que d’autres :
  • les faits gravement fautifs amènent souvent d’emblée à une convocation à entretien préalable à licenciement
  • les faibles ancienneté et qualification suscitent moins d’interrogations
Les cas classiques d’hésitation de l’employeur tiennent aux salariés des niveaux les plus élevés, notamment aux membres des Comex, Codir, cadres dirigeants, et aux salariés ayant une forte ancienneté.

Ils peuvent aussi tenir à la culture de l’entreprise où tout départ est négocié en amont de la procédure ou au souhait, partagé par tous, d’éviter un contentieux.

Ils tiennent enfin à l’option de la rupture conventionnelle qui suppose, non pas juridiquement mais dans les faits, de s’ouvrir de son intention au salarié.

Les situations sont donc multiples dans lesquelles l’employeur est tenté d’exposer au salarié, hors toute procédure, la perspective de rupture de son contrat.

Est-ce toujours une bonne idée ? Quels sont les risques ? Quels sont les précautions possibles ?

Est-ce toujours une bonne idée ? Non. Il ne s’agit pas ici de condamner la bienveillance de l’employeur, le souhait de « faire les choses bien » ou de rechercher un accord.

Il s’agit de rapporter les constats quotidiens de réactions de salariés dans ce cas : arrêt de travail pour « choc psychologique » et demande de déclaration d’accident du travail ; courriel immédiat de dénonciation du harcèlement dont il est l’objet ; réaffirmation de son investissement pour l’entreprise,  en visant le temps de travail important qu’il réalise alors même que sa convention en forfait jours lui semble discutable ; lien qu’il établit entre le projet de rupture et sa critique récente, la rupture constituant alors une sanction de l’exercice de sa liberté d’expression ; ou lien avec l’alerte récente qu’il a portée ou prétend avoir portée….le catalogue s’enrichit chaque année.

Ces réactions ne sont pas systématiques, c’est heureux, mais elles se multiplient. La probabilité que vous y soyez confrontés augmente donc et il est nécessaire de s’interroger sur les risques associés.

Quels sont les risques ? Ils sont toujours réels mais dépendent du contexte.

Toutes les réactions visées ci-dessus sont susceptibles de vous paralyser dans la poursuite de votre projet, comme vous exposant à des risques de :
  • quasi impossibilité juridique de la rupture (accident du travail)
  • nullité de la rupture et donc de réintégration ou de dommages et intérêts majorés
  • poursuites pénales
  • enquêtes de l’administration
  • publicité
Le point crucial est que toute action de l’employeur dans ce contexte sera vue comme une réaction, voire des représailles à la situation créée par le salarié.

Alors même que l’employeur avait à l’origine l’initiative, ce dont il n’y a le plus souvent nulle trace, il se retrouve sur la défensive, « dans le corner », dont il est difficile de sortir.

Le contexte peut peser : des antécédents disciplinaires ou des alertes faites au salarié amélioreront la position mais elle restera compromise voire désespérée.

Quels contrefeux ?

Il n’y a pas de remède miracle mais pour ne pas se trouver « dans le corner », il est possible de :
  • savoir convoquer d’emblée dans les dossiers qu’on ne « sent pas ». Cela ne signifie pas l’abandon de toute négociation et de toute recherche d’accord. Mais l’initiative de l’employeur est clairement affirmée et c’est ce que fera ensuite le salarié qui sera vue comme réaction ou représailles.
  • si le choix est fait d’une discussion préalable à la rupture, laquelle s’impose en cas de rupture conventionnelle, il est nécessaire à mon sens de tracer l’initiative de l’employeur. Ne serait-ce que par un simple courriel par lequel il est indiqué au salarié que vous souhaitez le voir pour évoquer certaines difficultés ou points importants.
Ce n’est pas agressif et n’hypothèque aucune solution, mais marque votre initiative, ce qui est essentiel.
  • si l’entretien informel que vous tenez en amont se passe mal, très rapidement basculer sur un mode plus formel.
J’avoue ne pas me réjouir des constats que je rapporte et des conseils qu’ils induisent. Dans un environnement qui prône le dialogue et le consensus, ce que tous les acteurs affichent partager, il est malheureux d’inciter à la méfiance et à la stricte procédure.

La complexité, et le coût final, des situations qui nous sont soumises m’y poussent pourtant…
 

Article rédigé par Maître Philippe DE LA BROSSE, Avocats Associé

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