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Publié le : 11/01/2024 11 janvier janv. 01 2024

Le 22 décembre 2023, la Cour de Cassation a rendu un arrêt attendu, aux termes duquel elle accepte la production devant les juges d’un enregistrement effectué par un employeur à l’insu du salarié et par lequel il établissait la réalité de la faute fondant le licenciement.

Cette décision constitue-t-elle le revirement historique que certains proclament ?

Pas tout à fait, dès lors d’une part que la Cour de Cassation a déjà consacré l’admissibilité d’une preuve illicite et d’autre part que la motivation retenue dans cette décision n’est pas inédite.

En effet, l’admission d’une preuve illicite n’est pas nouvelle:
https://www.aguera-avocats.fr/les-actualites/articles/la-liceite-de-la-preuve-dans-le-proces-prudhomal-217.htm ).

S’agissant en particulier des enregistrements clandestins, les différentes chambres de la Cour de Cassation ont eu une position divergentes.

La chambre criminelle a par exemple admis, dès 2006, la production par un salarié licencié des conversations qu’il avait eu avec d’anciens collègues qui avaient rédigé une attestation contre lui (Cass. Crim., 14 février 2006, n°05-84.384 ; Cass. Crim., 12 avril 2023, n°22-83.581).

Pour sa part, la chambre sociale demeurait hostile à la production en justice des enregistrements de conversations téléphoniques effectués à l’insu d’un des deux participants (Cass. Soc., 29 janvier 2008, n°06-45.814 ; Cass. Soc., 16 mars 2011, n°09-43.204 ; Cass. Soc., 7 juillet 2021, n°19-21.765).

Il devenait donc nécessaire que les chambres de la Cour de Cassation se retrouvent sur une position commune et c’est un des apports espérés de cette décision de l’Assemblée Plénière.

Mais l’intérêt majeur de cet arrêt réside dans sa motivation particulièrement didactique pour parvenir à admettre la production, en justice, d’une preuve illicite ou déloyale.

L’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a tout d’abord procédé à un double état des lieux de la jurisprudence.

Dans un premier temps, elle a rappelé que les chambres civiles admettaient, sous réserves et dans le droit fil de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la recevabilité d’une preuve illicite, mais que dans le même temps, considérant que la justice doit être rendue loyalement, elles avaient jugé qu’était irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème.

Dans un second temps, l’Assemblée Plénière a rappelé qu’en matière pénale, la chambre criminelle considérait qu’aucune disposition légale ne permettait au juge d’écarter par principe les moyens de preuves illicites ou déloyaux.

Poursuivant son analyse, l’Assemblée Plénière a ensuite non seulement rappelé la position de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui écarte l’irrecevabilité par principe des preuves déloyales, mais elle a en outre évoqué la doctrine, dont elle a souligné qu’une partie d’entre elle s’alignait sur la position de la CEDH.

Ayant posé l’ensemble de ces constats sous le visa express de l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, l’Assemblée Plénière a enfin formellement tranché la question des preuves déloyales et illicites en jugeant : « … qu’il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats … ».

L’Assemblée Plénière instaure toutefois un garde-fou à cette évolution significative dans l’administration de la preuve en matière civile : le juge doit apprécier si une telle preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure.

Pour ce faire, le juge doit s’assurer que la production de cette preuve illicite ou déloyale est indispensable pour la partie qui s’en prévaut d’une part, et que l’atteinte portée aux droits de la partie contre laquelle cette preuve est produite est strictement proportionnée à la finalité de l’instance judiciaire dans le cadre de laquelle cette production est faite d’autre part.

La chambre sociale de la Cour de Cassation, dans un arrêt de novembre 2020 rendu sur la recevabilité d’une preuve illicite (Cass. Soc., 25 novembre 2020, n°17-19.523), adoptait une motivation proche de celle de l’Assemblée Plénière, ce qui laisse espérer un alignement de la première sur la position de la seconde.

Comment vont se traduire les apports de cette décision dans l’exécution quotidienne du contrat de travail ? Il appartiendra aux juges du fond de forger, sous le contrôle de la Cour de Cassation, les contours de l’application des prescriptions portées par cet arrêt.

Il est cependant possible d’avancer que, de manière presque paradoxale, cette décision pourrait avoir pour conséquence vertueuse de renforcer la loyauté, sinon sincère, à tout le moins de façade, dans les échanges entre employeurs et salariés.

En effet, dès lors que les uns comme les autres auront à l’esprit que leurs échanges sont susceptibles d’être enregistrés, il est à parier qu’ils se garderont de tout propos dont les conséquences pourraient soit justifier un licenciement soit faire la démonstration d’une exécution déloyale du contrat de travail, voire d’agissements susceptibles de caractériser une situation de harcèlement moral.

Avec cette décision rendue le 22 décembre 2023, certains diront que l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a, en validant les enregistrements effectués à l’insu d’un salarié, glissé in extremis un joli cadeau sous le sapin des employeurs.

D’autres au contraire rappelleront qu’il s’agit d’un salutaire retour à un équilibre probatoire devant les juges du contrat de travail.

Article rédigé par Maître Xavier BLUNAT, Avocat Associé

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