Considérations sur les problèmes de comportement en milieu professionnel : le retour du pouvoir disciplinaire
Auteur : Philippe DE LA BROSSE
Publié le :
23/02/2023
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2023
Pendant longtemps, les sujets de comportements ont été limités au triptyque rixe/alcool/drogue, et traités de façon individuelle et le plus souvent disciplinaire.
Puis sont « nés » les risques psychosociaux, sujet collectif dans lequel l’employeur et l’organisation de l’entreprise se sont retrouvés en 1ère ligne.
Parallèlement s’est imposée l’omniprésence du harcèlement dont tous les développements ne sont pas encore connus et qui, parmi des situations avérées, recouvrent fréquemment et abusivement des tensions, des mésententes, ou la mauvaise acceptation du simple exercice du pouvoir de direction et des choix de l’entreprise et de ses managers.
Ces 3 sujets sont toujours présents même si les 2 premiers sont moins prégnants.
Mais la liste des problématiques liées aux comportements s’est allongée ces derniers mois.
En qualité de conseil des entreprises, nous sommes témoins de la forte hausse des difficultés relationnelles et des comportements individuels « erratiques » : violence verbale, incompréhension ou opposition exprimée sans retenue, courriels rédigés sans discernement, communication sans filtre sur les réseaux sociaux…
Ces constats ne sont pas propres à l’entreprise mais ils entrainent des questions et des conséquences particulières dans le milieu professionnel.
Certaines causes en sont connues et souvent exposées dans la littérature RH et juridique.
D’une façon générale, sans doute une faiblesse des cadres et structures extérieurs à l’entreprise qui n’est pas nouvelle mais s’accentue, et un climat anxiogène permanent, sans cesse alimenté d’évènements proches ou lointains.
De façon plus actuelle, d’évidence, la période de pandémie récente et le télétravail.
La pandémie qui a provoqué fatigue et lassitude et désorienté chacun.
Le télétravail pour ceux qui en « bénéficient » … et ceux qui en sont privés.
Ceux qui en bénéficient : l’art de la communication écrite et son interprétation et surinterprétation, l’isolement et l’évitement, la perte de proximité, le recul de l’entraide demandée ou spontanée, l’absence de temps de régulation et d’échanges « inutiles », les difficultés techniques…et les bureaux vides quand on vient sur site.
Autant de problèmes partagés par tous et pour autant peu traités malgré la bonne volonté des directions et les dispositions des accords collectifs et des chartes.
Et pour ceux qui en sont privés : la frustration d’un télétravail idéalisé mais inaccessible et la raréfaction ou l’éloignement des interlocuteurs dans l’entreprise.
Mais le sujet n’est pas ici de la ou des causes mais de leurs conséquences et de leur traitement.
Il faut pour cela distinguer 2 types de comportements.
D’une part, les comportements / messages / propos injurieux et violents qui nous renvoient au début de ces considérations. Sans exclure que des mesures autres soient prises (médicales, formations…), ils sont passibles, classiquement, du droit disciplinaire :
- ils peuvent relever de la réglementation interne de l’entreprise : règlement intérieur, charte, code de bonne conduite…et on aura soin de vérifier la légalité de ces sources de droit (dépôt, consultation des instances, déclaration CNIL…)
- le plus souvent, ils relèvent en premier lieu des règles, écrites ou non, de la vie en société : propos déplacés, langage outrancier, violence verbale, injures, mépris…
Il est d’ailleurs conseillé, même si la source interne est mobilisée, de se fonder aussi sur « le bon sens » et ces règles de droit commun.
Les années passées à débattre des RPS, du harcèlement, de la QVT…ont pu faire oublier le simple exercice du pouvoir disciplinaire à l’égard de ces comportements, qui n’ont jamais disparu totalement mais dont la recrudescence est évidente.Vous pouvez faire usage de ce pouvoir pour le bien de votre organisation et la protection légitime de vos collaborateurs cibles des propos et comportements.
D’autre part les critiques contre le manager, le management, l’organisation, les collègues de travail…dont le traitement est devenu plus délicat comme l’illustrent nombre d’arrêts rendus récemment par la Cour de Cassation.
Il en ressort pour l’essentiel que :
- le salarié bénéficie de la liberté d’expression, dans et en dehors de l’entreprise (Cass. Soc., 24 novembre 2021, n°19-20.400) :
« En statuant ainsi, alors que les correspondances de la salariée, qui se bornaient à critiquer les modalités de rémunération de ses heures de travail, ses conditions de travail et à dénoncer un harcèlement à son égard sans contenir de propos excessifs, injurieux et diffamatoires, ne caractérisaient pas un abus par la salariée de sa liberté d'expression, la cour d'appel a violé le texte susvisé… »
- le licenciement, ou toute sanction, fondée, même partiellement, sur l’exercice de la liberté d’expression est nul (Cass. Soc., 9 novembre 2022, n°21-15.208) :
« Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le licenciement était, en partie, fondé sur le comportement critique du salarié et son refus d'accepter la politique de l'entreprise basée sur le partage de la valeur « fun and pro » mais aussi l'incitation à divers excès, qui participent de sa liberté d'expression et d'opinion, sans qu'un abus dans l'exercice de cette liberté ne soit caractérisé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés... »
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le licenciement était, en partie, fondé sur le comportement critique du salarié et son refus d'accepter la politique de l'entreprise basée sur le partage de la valeur « fun and pro » mais aussi l'incitation à divers excès, qui participent de sa liberté d'expression et d'opinion, sans qu'un abus dans l'exercice de cette liberté ne soit caractérisé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés... »
Rappelons que la nullité du licenciement est la « sanction suprême », ouvrant droit à la réintégration ou à des dommages et intérêts non soumis au barème Macron.
Concluons donc à la forte latitude pour l’employeur dans la sanction des propos et comportements violents et insultants mais à l’extrême prudence dans celle des critiques de l’entreprise, de sa politique et de ses salariés/managers/dirigeants.
Il est donc essentiel de parfaitement qualifier les faits que vous envisagez de sanctionner.
Article rédigé par Maître Philippe DE LA BROSSE, Avocat Associé
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