La licéité de la preuve dans le procès prud'homal
La presse a récemment mentionné une décision du conseil de prud'hommes de Compiègne qui a requalifié le licenciement pour faute grave d’une juriste en licenciement abusif car son employeur avait utilisé un logiciel interne qui permettait de recueillir des données statistiques, mais sans préciser qu’elles pouvaient être nominatives.
La salariée soutenait que des données à caractère personnel doivent être traitées de manière loyale et transparente, comme le prévoit la CNIL. L’article L 1222-4 du code du travail ajoute qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut-être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. Autrement dit, il s’agissait d’un énième débat sur la licéité d’un mode de preuve.
Mais la solution dégagée par ce jugement n’est pas conforme à l’état de la jurisprudence. En effet, même illicite, une preuve n’est pas nécessairement rejetée des débats.
Quelques exemples permettent d’illustrer cela :
La Cour de cassation a jugé que la collecte des adresses IP par l’exploitation du fichier de journalisation constitue des données à caractère personnel dont le traitement doit faire l’objet d’une déclaration à la CNIL. Toutefois, le défaut d’une telle déclaration n’entraine pas nécessairement leur rejet des débats. Le juge doit apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Elle met en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve. Et ce droit peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle du salarié, à condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. Soc. 25 novembre 2020, n°17-19.523-BPRI).
Une fois le principe posé, il faut encore que les juges l’appliquent d’une façon objective. Ainsi, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel qui avait déclaré un licenciement abusif après avoir constaté que la preuve de la faute grave énoncée dans la lettre de licenciement avait été administrée par l’employeur au moyen d’un procès-verbal de police qu'il avait obtenu grâce à ses bonnes relations avec les autorités de police. Or, la délivrance d’une pièce issue d’une procédure pénale à une personne qui n'est pas concernée doit se faire sur autorisation du procureur de la République afin d’être licite. Mais, dans cette affaire, il suffisait à l’employeur de soutenir devant la cour d'appel que le rejet de la preuve illicite pouvait porter atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Evoqué pour la première fois en cassation, l'argument a donc été rejeté (Cass. Soc. 8 mars 2023, n°20-21.848 FS-B).
Récemment, la Cour de cassation s’est penchée sur une situation fréquente : il est parfois difficile d'obtenir des témoignages, par crainte des représailles. Une cour d'appel avait annulé une sanction disciplinaire infligée à un salarié en jugeant que l’attestation anonyme d’un de ses collègues était sans valeur probante. Le salarié soutenait qu’il lui était impossible de se défendre d’accusations anonymes. La Cour de cassation a censuré la cour d'appel car d'autres pièces étaient produites par l’employeur pour caractériser la faute du salarié. La cour d'appel devait également tenir compte de ces pièces car elles confortaient le témoignage anonyme (Cass. Soc. 19 avril 2023, n°021-20.308 P).
En résumé, le rejet d'une preuve illicite peut porter atteinte au caractère équitable de la procédure si d’autres éléments factuels viennent corroborer les faits invoqués.
Article rédigé par Maître Jean Baptiste TRAN MINH, Avocats Associé
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