Le harcèlement moral sur tous les terrains
Auteur : Me Christophe BIDAL
Publié le :
30/03/2023
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Ceux qui plaidaient avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-73 du 17 janvier 2002 ayant codifié sous le Code du travail la règlementation relative au harcèlement moral, se souviennent des propos de Madame Béatrice LAPEROU, alors maître de conférence à l’université de Franche-Comté, tenus dans sa chronique publiée à la Revue de Jurisprudence Sociale du mois de juin 2000, sur « La notion de harcèlement moral dans les relations de travail » :
« …
Ainsi, les qualificatifs retenus par les médias paraissent quelquefois trop forts, parfois même excessifs, ou encore utilisés à mauvais escient. Aussi, selon un large consensus de la doctrine et de la pratique, convient-il sans trop tarder de définir précisément cette notion, en s’interrogeant notamment sur la frontière à établir entre le véritable harcèlement moral et ce qui est une simple tension, une situation de stress ou encore qui relève de la paranoïa de la personne se prétendant harcelée… »
A la vérité, ce passage choisi – qu’on a à l’époque bien exagérément plaidé – ne reflète pas la conclusion de Madame LAPEROU militant alors, à raison, dans le sens d’un traitement législatif.
Le législateur a œuvré mais, comme toujours, n’a pas tout résolu.
On se disait ce faisant que le juge des affaires prud’homales tracerait les frontières mais, plus de 20 ans après, elles ne le sont toujours pas.
1°/ L’article L. 1152-1 du Code du travail dispose :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »L’on voit de suite la problématique : le texte illustre les faits de harcèlement moral, mais ne les définit pas, ce qui intrinsèquement pose difficulté.
Le législateur, comme souvent, a donc renvoyé la difficulté au juge via les règles du procès, essentiellement celles de la preuve, lesquelles, codifiées sous l’article L. 1154-1 du Code du travail, prescrivent au plaignant de présenter « … des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement… », à charge pour l’employeur de prouver que ces « … agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement… ».
Bref, la loi n’a factuellement guère apporté et a laissé aux acteurs du procès - juges et auxiliaires de justice -, la délicate tâche de rechercher du harcèlement moral dans un ressenti par essence subjectif, autrement dit, sans extrapoler, de « sonder les âmes et les cœurs » des parties.
La tâche n’a pas été facile et ne le sera jamais car appliquer mécaniquement le dispositif probatoire de l’article L. 1154-1 du Code du travail et sonder les âmes et les cœurs, ne vont pas vraiment de pair.
2°/ La caricature permet souvent d’illustrer simplement les choses compliquées.
Et la vie judiciaire est de ce point de vue prolifique.
Ainsi, l’actualité jurisprudentielle (Cour d’Appel de Paris – 1er mars 2023), montre :
- qu’un footballeur professionnel réputé, salarié d’un club du très haut niveau et recevant un salaire mensuel brut de 425.000 € outre primes, est présumé moralement harcelé dès lors, en résumé, qu’il a été écarté par ses dirigeants des compétitions officielles et des primes afférentes, maladroitement car en étant de fait mis à l’écart de la vie du groupe professionnel
- et, car il ne justifie pas d’une cause objective exclusive d’un harcèlement moral, ne se résumant pas aux prérogatives d’appréciation de la performance sportive et de sélection de l’entraineur, le club ne rapporte pas la preuve d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, ce qui provoque in fine sa condamnation au paiement de l’euro symbolique à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Mais il convient de la relever pour deux raisons :
- d’abord, car l’allocation de l’euro symbolique interpelle : s’il est jugé que le footballeur professionnel a été victime de harcèlement moral, c’est qu’il a subi, conformément à la loi, une dégradation des conditions de travail ayant touché à ses droits et sa dignité, altéré sa santé physique ou mentale ou compromis son avenir professionnel, tous préjudices valant d’évidence plus qu’1 euro
- ensuite, car la décision applique sans doute trop mécaniquement, voire trop archaïquement, la règle.
Et la Loi doit évidemment être appliquée quand les circonstances de faits l’imposent.
Pour autant, le juge ne doit pas ignorer que le rapport de forces, dans le contrat de travail, est en train de changer.
Les entreprises ont besoin de salariés, alors que les salariés sont, dans l’air du temps, volages et que l’amour du maillot, dans l’entreprise comme dans le football, tend à s’étioler.
Conséquemment, le contrat de travail est moins un contrat d’adhésion qu’auparavant, spécialement sur le terrain du football professionnel où le joueur, représenté et conseillé par un agent sportif et/ou un avocat mandataire sportif, voire une organisation plus large, va imposer ses conditions, sans discussion si ses performances sportives sont indiscutables.
C’est un fait, la relation de travail employeur/salarié, partout, va vers moins de verticalité et plus d’équilibre.
Sans doute est-ce heureux pour ce qui est de la qualité de vie au travail.
Mais on ne peut corrélativement pas ne pas en tirer de conséquence sur le terrain du harcèlement moral, ce qui commande la nuance dans l’appréciation et la réponse judiciaires.
La condamnation pour harcèlement moral dans le domaine du football professionnel évoquée, procédant d’une motivation plus mécanique que nuancée, illustre caricaturalement la problématique de l’adaptation de la justice sociale à l’évolution des rapports au travail.
Article rédigé par Maître Christophe BIDAL, Avocat Associé
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